Sportif par amour
Rédigée par Agnès Dupuy

Sportif par amour

De Buster KeatonJames W. Horne - 1h06 - 1927 (États-Unis)
Sportif par amour
à partir de 6 Ans

Synopsis

Peu importe qu’il pleuve à verse et que son costume rétrécisse : lors de la remise des prix, Ronald, brillant étudiant, vante avec véhémence la supériorité des études face au sport. Son attitude amène les sarcasmes d’un auditoire de nantis jaloux et provoque même la colère de Mary, sa dulcinée, qui lui rappelle qu’un sportif est plus séduisant qu’un frêle lettré.

Seule solution pour la reconquérir : briller comme athlète face à son rival musclé, Jeff, dans le lycée où elle se rendra. Or, de condition modeste, il ne peut s’y inscrire qu’en travaillant dur à côté, comme serveur.

Ce poste qui le pousse à de vertigineuses maladresses laisse entrevoir les difficultés qu’il devra surmonter sur un terrain de baseball, de course ou d’aviron. La force de son amour lui permettra-t-elle de dépasser son inexpérience ?

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Rédigée par Agnès Dupuy
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Il n’y a pas pour Buster Keaton de petit ou de grand événement (pluie, remise d’un diplôme, confection d’un milk-shake ou course d’aviron) ni d’objet noble ou dérisoire (parapluie, bâton, balle) : tout est support de découverte, de jeu et d’acrobatie. Cette capacité à tirer poésie et imagination d’un détail prosaïque étudié avec minutie et sérieux, est le signe d’un état d’enfance dans lequel tous les jeunes spectateurs reconnaitront en cet amoureux candide et obstiné un des leurs.

La concentration avec laquelle il s’intéresse à chaque geste, personnage ou mécanisme qui l’entoure, comme dans un spectacle de marionnettes côté coulisses (telles les postures d’entrainement des sportifs, rendues dénuées de sens lorsque Ronald essaie consciencieusement de les imiter) va sidérer chaque petit spectateur. Les décors sont eux aussi contaminés par cette étrangeté, comme un Légo à grande échelle, où circulent les pantins d'un instant : va et viens au travers de fenêtres, de façades ou de balcons mis en péril comme dans une maison de poupée. La fascination des enfants devant ce monde en apparence banal, mais sans cesse réinventé, trouve son apogée dans la prouesse inouïe des cascades, effectuées dans la tension d’un plan unique, sans escamotage, évoluant sous nos yeux dans la durée même des voltiges.  

De même, la force des sentiments que les circonstances génèrent va être reçue et comprise immédiatement par chaque enfant : tomber amoureux, être victime d’une injustice, s’opposer à un méchant, croire en sa chance jusqu’au bout, résister, rêver, fuir la cruauté ou trouver du courage, autant de situations que le héros transmet sans fard, à vif. On passe du rire au chagrin et de la compassion à l’admiration en un éclair, les gags étant étirés jusqu’aux limites du non sens, de la cruauté ou du miracle, en retournant les équilibres comme un vêtement mis tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers.

Les nombreuses épreuves sportives montrées puis contournées par le héros qui essaie du mieux qu’il peut de s’y confronter, engendrent un double plaisir : plaisir de suivre l’épreuve sportive, filmée avec un sens de la composition des cadres d’une rare élégance - véritable écho aux photographies de son contemporain J. H. Lartigue -, dans une épure graphique qui met en valeur le geste sportif (beauté de sa foulée olympienne qui fend l’air d’un seul trait), et plaisir du détournement qui va suivre, qui prend en compte notre attente du «grain de sable» et en joue avec un sens du tempo inégalé. 

College, ce film dont les images muettes résonnent musicalement.

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« Réaliser des films comiques est un travail sérieux. C’est la raison pour laquelle je n’esquisse pas le moindre sourire dans un seul d’entre eux. »  Buster Keaton

En réalité, ce regard impassible remonte à son enfance. Le très jeune Joseph Keaton a été baptisé « Buster » (le « casse-cou ») par le magicien Houdini, ébahi par sa capacité à se relever après les chutes et vols planés spectaculaires que ses parents lui faisaient exécuter en l’envoyant du plancher aux coulisses en passant par la fosse d’orchestre, et dont ils tiraient toute la gloire lors de leurs spectacles de music hall, à une époque où les autorités n’avaient pas encore interdit l’exploitation des enfants. 

En 1899, du haut de ses 4 ans, Buster Keaton avait déjà remarqué que rester de marbre plutôt que de sourire attirait bien plus l’attention du public, stupéfait devant cette « serpillère humaine », tel qu’on le surnommait.

Lorsqu’à 22 ans il se lance dans le cinéma afin de sortir sa famille des difficultés financières, son père commence à développer une sévère addiction à l’alcool. Bien que lui ayant donné de petits rôles dans certains de ses films, le fils ne réussit pas à sortir son père de sa dépendance… et de son aversion pour le cinéma : « quel scandale de voir des heures de travail projetées sur un drap sale, pour dix cents ! » lancera ce dernier après une projection.

Malgré tout, Buster Keaton persiste dans son oeuvre où l’apparente neutralité de son visage, loin de figurer l’indifférence, lui permet de renvoyer à leurs pantomimes, les grimaces, les hypocrisies et les regards fuyants des autres personnages. Figure bressonienne avant l’heure, il est d’une implacable résistance, orgueilleux, amoureux, très volontaire, intelligent, ultra sensible et rusé, lunaire et consciencieux à la fois : un être plein de désir et d’énergie. Le caractère de cet athlète hors norme apparait dans chaque film, quels que soient les rôles, les époques et les costumes qu’il endosse. Son sens du rythme, de la distance, de la vitesse à la seconde près, avec une conscience unique de l’espace et ses croisements devant / derrière, caché/ montré, horizontaux / verticaux, confère la profonde unité de son travail même s’il s’entourait de plusieurs collaborateurs :

«  Nous n’avions jamais de script écrit, pas la moindre continuité, juste un simple schéma, une « ligne droite » ; mais trois scénaristes suivaient le tournage jour après jour, et discutaient avec moi tout au long. Nous lancions sans cesse des idées en l’air ; l’une était-elle retenue, nous la tournions aussitôt. La seule préparation consistait donc à réunir le « matériel dramatique » nécessaire - et beaucoup de pellicule : car il ne fallait jamais se refuser la possibilité du gag imprévu, survenant en cours de tournage, et parfois par accident (…). Ensuite de nombreuses projections privées et preview décidaient du sort de chaque gag, et ceci suivant un seul critère : faisait-il rire ou non ? (…) Plusieurs coréalisateurs qui travaillèrent avec moi s’occupaient plus particulièrement de la construction de l’histoire, de la continuité, ce qui était un élément capital du film. Car il n’y a rien de pire qu’un gag déplacé. (…) Il y eut des gags qui ne pouvaient m’être d’aucune utilité, que je racontais à Harold Lloyd qui les aimait et les utilisait pour lui. J’ai fait de même avec Chaplin qui, à son tour, me proposait des gags dont il ne pouvait pas se servir et qui collaient à mon personnage. Ces échanges de gags étaient monnaie courante. Puis ce fut l’avènement du parlant et la fin de l’époque dorée où l’on tournait sans scénario car, désormais, il fallait en avoir un, puisque les dialogues devaient être écrits à l’avance. »

Le monde ne va pas au même rythme que lui, les règles qui régissent les rapports humains n’attaquent son intégrité qu’en surface et la cruauté des rapports de classe ne passe pas le filtre de son regard candide : tel le roseau, il essaye de se plier à la gymnastique des simagrées qui l’entoure, en en imitant d’un oeil acéré la mascarade. Mais si cela ne marche pas, si c’est trop incompréhensible, il avancera quand même à corps perdu, de tous ses membres, de tout son coeur, pour dépasser les lois de la pesanteur, de la géométrie ou de l’argent.

Il ne s’agit pas pour lui de changer le monde mais de le traverser. Le monde est comme il est, mais lui aussi, irrémédiablement intègre, diamant brut de poésie, admiré des surréalistes, et de Luis Buñuel en particulier. Il ne compose ainsi son équilibre qu’avec son propre tempo, si simple en apparence, dans un art de la rupture et du contrepoint à une note - la « note » de son visage impassible - qui croise et glisse avec grâce sur la supposée harmonie du monde. Buster Keaton, un M. Ravel du muet ?

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Un artiste de cirque dont les défis corporels font écho aux prouesses sur les planches de Buster Keaton enfant : https://www.youtube.com/watch?v=8ojLsaRbtVY

Une des dernières performances de B. Keaton sportif, dans son « Buster Keaton Show » télévisuel en 1950 : https://www.youtube.com/watch?v=dzuu2mB8MH4

Une approche rapide mais efficace des gags de B. Keaton, dont on entend ponctuellement la voix issue d’interview (sous-titré) : https://www.youtube.com/watch?v=UWEjxkkB8Xs

L’autobiographie incontournable de B. Keaton, drôle, modeste et riche d’enseignement sur sa conception de la vie :
La mécanique du rire - B. Keaton et Charles Samuels - Editions Capricci (rééddition) - 2014

Un joli livre pour enfant qui retrace la vie de B. Keaton avec simplicité et élégance :
Buster Keaton, le mécano du cinéma - Hélène Deschamps et Anastassia Elias - Editions À dos d’âne - 2015

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Les bonnes raisons de voir le film

  • 1 Pour apprendre à résister par le rire au sentiment de solitude face à la bêtise
  • 2 Pour la très grande beauté des scènes de sport, dans un noir et blanc dont l’épure graphique révèle la virtuosité du tempo
  • 3 Pour la scène où Ronald, ayant tenté en vain de donner le change comme serveur de milk-shake, se transforme en un éclair en client afin de ne pas se faire remarquer par sa dulcinée qui vient d’entrer dans le bar, puis démissionnant en un temps aussi record après que son regard perçant ait croisé celui de son patron interloqué
  • 4 Pour le concours d’aviron où, non dupe des méchancetés de ses collègues, il persiste pourtant avec abnégation pour faire gagner son équipe en devenant, par la force de son amour, corps-requin, oiseau, canot, flèche, pur mouvement

Pour quel public ?

Un film à partager en famille car pouvant être reçu par tous les âges : dès 5 ou 6 ans, les enfants seront immédiatement happés par les chutes et les prouesses de Buster Keaton ; vers 8 -10 ans ils seront touchés par son caractère volontaire, rusé et aventureux, et ils seront ensuite très vite sensibles à ce qui bouleversera d’emblée les plus âgés : la fulgurance du rythme et l’intelligence d’un personnage se débattant jusqu’au vertige dans un monde duquel il est socialement et rythmiquement exclu.

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